Tandis que se vidait le stade Loujniki, Sentsov, lui…
Quand l’espoir se fait croyance. Ou quand on est prêt à tout, y compris à laisser pénétrer la superstition pour refouler le désespoir. Game over ! Nous sommes quelques-uns, oh, pas des millions, certes, ni même des centaines de milliers, quoique… si des millions avaient su, si des milliers avaient pu, de par le monde nous aurions été une marée, une coulée, une cataracte, une avalanche, un irrésistible torrent impétueux déferlant sur la ferveur populaire pour y fourailler et trouver sans peine les veines par où coulent le sens du juste, le goût du bon, l’attention aux autres, et nous aurions dit qui est ce cinéaste un brin idéaliste, volontiers gouailleur, confiant en l’avenir malgré l’ombre qui gagne, et nous serions parvenus à arrêter le cours du temps, à suspendre le cours des matchs, à prendre de court l’indifférence, et pour faire court, à forcer le maître du Kremlin, qui court sans pause après une omnipuissance mondiale, à lever le pouce, jouer à César et gracier le gladiateur vaillant et résolu qui ne mange plus depuis soixante-deux jours.
Nous avons commencé à sonner, crier, hurler, supplier avant le lancement du Mondial, nous avons toqué, tambouriné, martelé pendant toutes les journées du Mondial, nous l’avons fait avec grâce, avec fureur, avec tempérance, avec démesure, avec courtoisie, avec pédagogie, avec agacement, avec impatience, mais sans hésitation, chacun dans son style, nous tous lucides, nous tous fébriles, nous avons planté des flambeaux, nous avons brandi des clartés, nous avons demandé aux puissants d’utiliser leur puissance… S’ils avaient entendu, s’ils avaient voulu, que dit un monde où un homme détient un tel pouvoir sur la vie d’un homme…
Si, et si, et si encore… et Sentsov serait libre, et nous exulterions.
Game over ? Serions-nous à nous habituer à cette barbarie d’un nouvel âge ? Elle ressemble tellement à celle des anciens âges…
Christiane Taubira