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Supplique à Emmanuel Macron

Vous le savez, M. le Président, le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov purge, dans une prison du nord de la Russie, une peine de vingt ans pour « terrorisme » et « trafic d’armes », au terme d’un procès ubuesque, dans la grande tradition soviétique, avec son lot d’intimidation, de violences, de preuves approximatives, de défense bafouée, de condamnation aussi lourde qu’expéditive, etc.

Aujourd’hui, Oleg Sentsov réclame la libération de tous les prisonniers politiques ukrainiens. Si on oublie parfois qu’il n’est pas seul dans les geôles russes, c’est parce qu’il a entamé une grève de la faim dont le décompte serre le cœur : à l’heure où j’écris, il en est à son 67ème jour… Pour donner un ordre d’idée, à 66 jours, en 1981, Bobby Sands était déjà mort. C’est peu dire qu’il y a urgence. Et peu dire que la honte nous habite. Parce que nous n’avons pas réussi à le faire libérer. Nous sommes des centaines en France comme à l’étranger à avoir tenté de peser en faveur de Sentsov. Nous avons eu recours à nos plumes, à nos tribunes, nous avons parlé et écrit, nous avons utilisé nos moyens, ils étaient dérisoires.

Nous savions depuis le début que la libération d’Oleg Sentsov ne dépendait pas de l’importance du nombre de pétitions, aussi prestigieux qu’en soient les signataires, que dans cette affaire, aucun appel à la clémence ne ferait plier Vladimir Poutine : le chef de la Russie considère son imperméabilité aux émotions européennes comme une démonstration de la puissance retrouvée de la « Grande Russie » (et accessoirement, une nouvelle manifestation de sa posture de mâle alpha de la politique internationale). La solution ne passait pas par nous, cinéastes, romanciers, écrivains, artistes. Elle ne pouvait être que diplomatique. Seule la politique disposait de leviers suffisamment efficaces pour espérer la libération de cet homme dont le calvaire, face à l’arbitraire, donne envie de pleurer. Et nous renvoie le terrifiant spectacle de notre paralysie. Vous êtes, M. le Président, et à plusieurs reprises, intervenu auprès de Vladimir Poutine en faveur d’Oleg Sentsov. Vu de loin, ces interventions ont semblé anecdotiques, et sont apparues comme une sorte de rituel diplomatique auquel on sacrifie pour la forme, mais sans espoir de succès. La réalité est sans doute bien différente et je ne suspecte ni votre sincérité ni votre énergie. Je suis certain que vous avez tenté d’être convaincant et persuasif.

Vous n’y êtes pas parvenu.

La mort de Sentsov ne serait pas seulement celle d’un homme résolu et courageux, ce qui serait déjà beaucoup. Elle nous insulterait en nous assurant qu’à la porte de l’Europe, on peut, sans dommage ni conséquence, sans risque d’incident diplomatique ou économique, sans rien craindre, emprisonner arbitrairement et tuer des intellectuels et des artistes. Nous avons déjà tant de fois fermé pudiquement les yeux devant les exactions de pouvoirs voisins que cette fois, devant le spectacle que Vladimir Poutine se plait à donner de sa puissance, notre faiblesse confinerait à l’humiliation.

Il reste peu de temps. Très peu de temps. Oleg Sentsov va peut-être mourir dans quelques jours, dans quelques heures. Dans une époque où la tentation autoritaire plane sur l’Europe, parvenir à le sauver serait affirmer que les démocrates européens ne sont ni muets, ni abouliques, ni impuissants. Le pouvez-vous encore ?

Pierre Lemaitre

Crédits photographiques : By Wikinade - Own work, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=34105709

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