C’est le silence qui tue.
C’est pour ça qu’il faut parler et appeler les choses par leurs noms. La Russie est un régime autoritaire. La Crimée a été annexée par l’intermédiaire de l’armée russe et non pas “re-attachée ». Le criméen Oleg Sentsov est un cinéaste emprisonné pour son courage, ses convictions et ses actions humanitaires. L’accuser de terrorisme est un mensonge cynique. Emprisonner un réalisateur connu afin que tous te supplient de le libérer et se sentent impuissants … c’est pas bête, monsieur le petit-tsar.
Un des moments des plus marquants de cette année pour moi, écrivaine étrangère, s’est passé pendant le Salon du Livre. Quelqu’un a annoncé qu’Emmanuel Macron allait peut-être passer par le stand ukrainien. Tout le monde a pris un livre pour l’offrir au président : de Malevitch à l’histoire des Tatares de Crimée. J’ai pris la traduction française des récits d’Oleg Sentsov.
Mais la délégation présidentielle ne s’est pas dirigée vers nous. Le Président, son épouse, et madame la Ministre de la Culture, entourés des officiers de sécurité, des journalistes et, finalement, de tous les visiteurs cherchant à faire un selfie ou demander un autographe. Faire passer le livre dans ses conditions ? Impossible.
Le dernier espoir était de me faufiler comme un enfant dans cette forêt de jambes. Et c’est là où j’ai commencé à parler : “Il y a un réalisateur ukrainien emprisonné par Poutine à Sibérie. Oleg Sentsov. Il me faut absolument donner son livre à votre président”. - “Oui madame, on sait. Allez-y”. C’était un vrai miracle. La foule, qui me paraissait tout à l’heure infranchissable, prête à tout pour vivre son moment de célébrité, s’est transformée. Chaque paire d’yeux, chaque paire d’oreilles appartenaient à une personne humaine, emplie de compréhension et de compassion. Ils m’ont laissé aller jusqu’au bout. J’ai tendu le livre d’Oleg Sentsov au Président Macron. Il m’a promis son support pour Oleg.
Quelques heures plus tard, je sirotais mon vin avec quelques amis à la maison, encore dans l’excitation du moment. Mais à mesure que l’adrénaline baissait, je sentais l’amertume accroître. On fête quoi ici, à Paris, dans notre petite vie bourgeoise ? Et qu’est-ce qu’il fait lui, maintenant, dans la cellule de sa prison, en Sibérie ?
En regardant Le Procès par Askold Kurov, j’ai été choquée par la clarté du discours de Sentsov au moment de sa condamnation, par sa dignité et son calme, son ironie et même sa clairvoyance par rapport au futur de l’Empire du Mal.
Le 14 mai 2018 Oleg Sentsov a entamé une grève de la faim.
Encore un fait à souligner : il ne le fait pas pour sa libération personnelle, mais pour celle des centaines des prisonniers politiques du régime de Poutine.
Oleg ne s’alimente plus depuis déjà 82 jours. Sa vie s’en va petit à petit, mais son esprit est plus fort que jamais.
Mec, t’es vraiment mon héros. Qu’est-ce que je voudrais te rencontrer en Liberté.
Irena Karpa, écrivaine ukrainienne