"La notion de dissidence fait écho au combat de ceux qui se battent depuis 30 ans"
Le 11 avril dernier, au Soudan, suite aux « émeutes du pain » et sous la pression de la rue, l’armée destituait et arrêtait Omar El Béchir au pouvoir depuis trente ans. Jacky Mamou, médecin, ancien président de Médecins du monde et aujourd’hui président du Collectif Urgence Darfour, nous éclaire sur les événements qui se déroulent actuellement et sur la notion de dissidence dans ce pays.
Vous connaissez bien le Soudan, la notion de dissidence y signifie-t-elle quelque chose ?
Je ne sais pas si le mot « dissidence » existe en arabe. Mais la notion de dissidence peut faire écho au combat de certaines personnes qui se sont battues toute leur vie pour les droits de l’homme. Je pense particulièrement à l’avocat Nabil Abid Abdallah, un vieux monsieur aujourd’hui mais une figure historique de la défense des droits de ceux qui s’opposaient au régime. C’est un homme courageux, qui a lutté pendant 30 ans avec une grande persévérance.
A-t-il été lui-même empêché de poursuivre son combat ? Emprisonné ?
Il a été harcelé en permanence, lui et sa famille. Mais il n’a pas été en prison et n’a jamais cédé. Parfois, il allait se mettre « au vert » à Londres pour pouvoir se faire oublier et reprendre ensuite son combat. C’est là d’ailleurs que je l'ai rencontré. Il ne travaillait pas pour une organisation internationale. Il était seul avec ses convictions. En ce sens, son combat fait écho à celui des « dissidents ».
Les jeunes et ceux qui sont aujourd’hui dans la rue le connaissent-ils ?
C’est une figure connue et qui compte, car c’est un homme extrêmement fiable et l’avocat de ceux qui étaient persécutés par la dictature en place. Il fait partie de ceux qui ont porté haut le drapeau des droits de l'homme et qui à leur manière ont été une source d'inspiration.
Quel est votre regard sur les événements actuels ?
Le renversement du régime actuel est parti de problèmes sociaux et économiques. Même si le feu couvait depuis longtemps. Pour résumer, le Soudan a perdu une grande partie de ses ressources pétrolières suite à la sécession du sud du pays. L’Etat a concentré son budget sur les dépenses militaires et les produits de base ont explosé. Les gens en ont eu assez ! Il ont demandé du pain et ensuite la liberté. La contestation sociale et économique s’est déplacée sur le volet politique. Mais ce qui est très intéressant, c’est que le mouvement actuel est pacifique dans un pays ou il y a une tradition de rébellion armée.
Comment l’expliquez-vous ?
Les médecins sont le fer de lance de ce mouvement. Ce mouvement pacifique a ainsi traversé toutes les couches de la société.Cela fait des années qu’ils assistent impuissants au délabrement des hôpitaux et de la santé dans leur pays. Alors avec d’autres professions, au contact des réalités de la population, notamment les journalistes et les architectes, ils ont pris la tête de la contestation. Mais ils n’ont pas fait qu’occuper la rue. Ils ont voulu se protéger des milices armées et de la police. Ils savaient qu’ils ne pourraient pas vaincre s’ils n’inversaient pas le rapport de force. Ils ont donc décidé de faire des sittings devant le quartier général de l’armée qui s’est du coup interposée pour les protéger. L’armée a certes pris le pouvoir aujourd’hui mais elle est paralysée par le fait qu’une partie des troupes est ralliée aux manifestants et doit concilier avec eux.
Y a t-il de nouvelles formes de contestation aujourd’hui au Soudan ?
Oui, des jeunes et des femmes qui via les réseaux sociaux occupent de plus en plus le terrain. Mais il ne s’agit pas en ce moment pour le Soudan de trouver des « espaces » de liberté ou de contestation. Il s’agit de prendre le pouvoir, de présenter une alternative au régime autoritaire. La société civile est très abimée mais c’est un pays avec de grandes universités et une importante diaspora. Je connais des gens qui sont entrain de revenir au pays, après 15 ans d’absence et une partie de leur vie au contact des valeurs démocratiques. Des gens qui ont été pourchassés, jetés en prison, qui ont fui et qui aujourd’hui veulent un autre Soudan. A suivre ….
Propos recueillis par Flore de Borde.