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Élections présidentielles sous Covid-19 « La Pologne traverse l’une des plus graves crises de


Piotr Kujawiński, expert-comptable à Łódź en Pologne, est un citoyen engagé. Depuis 2015, il milite au sein du Comité de Défense de la Démocratie pour dénoncer la réduction des libertés publiques ainsi que les atteintes à la constitution et à la séparation des pouvoirs initiées par le gouvernement actuel. Depuis plusieurs semaines, il soutient le boycott des élections présidentielles, initialement prévues ce dimanche 10 mai, mais annulées vendredi 8 mai, après des semaines de chaos. Nous l'avons interviewé pour comprendre la situation politique du pays en pleine crise du Covid-19.


Le Comité de Défense de la Démocratie et l’opposition ont milité pour le boycott des élections présidentielles en Pologne. Pourquoi ? Les élections sont reportées. Avez-vous gagné la bataille ?


La situation est complexe. L’opposition était divisée sur la tenue de cette élection présidentielle : fallait-il la boycotter ou participer tout de même à un scrutin organisé dans la précipitation, par correspondance et par courrier via la Poste, avec les questions que cela posait en termes de confidentialité. Une majorité, dont je fais partie, était pour le boycott. Avec la crise du Covid-19, les candidats se sont par ailleurs retrouvés confinés chez eux, sans contact avec les électeurs, privés de meetings. Tandis que le président Duda, omniprésent dans l’espace public disposait d'un accès illimité à la télévision nationale. La situation était grotesque et absurde, en plus d’être anticonstitutionnelle.


Mais le report annoncé vendredi n’est pas du tout une victoire. Bien au contraire, c’est une défaite pour nous tous. Il a été décidé sans que l’opposition soit consultée et sans vote parlementaire. Il a été acté par les « deux Jaroslaw » : Jaroslaw Kaczynski, le président du parti au pouvoir (PiS), et Jaroslaw Gowin, vice-premier ministre, chef de file du micro-parti Porozumienie (« Accord »), frange modérée de la majorité. C’est un accord scandaleux. Personne ne sait quand cette élection présidentielle se tiendra : le 31 mai, le 12 juillet ? Impossible à dire.


Aujourd’hui, la confiance dans des élections libres et démocratiques en Pologne est rompue. Et c’est extrêmement grave, nous n’avions pas connu cela depuis l’époque soviétique.


Pourquoi le gouvernement actuel est-il si pressé d’organiser ces élections en pleine crise sanitaire ?


D’une part afin de garantir la victoire du président sortant Andrzej Duda, dont l'image risquerait de souffrir, à plus long terme, de l'impact de la pandémie et de la crise économique et sociale qui s’annonce. De l’autre, parce que le gouvernement a injecté beaucoup d’argent au début du confinement pour soutenir les petites entreprises, les indépendants et les retraités. À court terme, il espère bien être remercié de cet effort par ceux qui en ont bénéficié. C’est une manière de profiter de la situation sanitaire pour assurer sa pérennité et faire taire l’opposition ainsi que toute forme de dissidence.


Cette situation chaotique pourrait-elle être une opportunité pour l’opposition de gauche et du centre, actuellement divisée, d’innover et de se transformer ?


Il est vrai que l’opposition est divisée et qu’il y a une perte de confiance dans ses leaders politiques. Mais il se peut, paradoxalement, que face à cette crise, les politiques soient amenés à s’asseoir ensemble autour de la table des négociations. Pour moi, la première étape serait qu’ils se mettent d’accord sur un candidat unique, du moins au second tour. Si des élections étaient organisées de manière constitutionnelle et démocratique et qu’un seul candidat de l’opposition se présentait, je voterais pour lui. Mais si le parti au pouvoir continue de jouer avec des méthodes illégales pour profiter de la crise et faire élire coûte que coûte son candidat, je sortirai dans la rue et j’aurai un rôle très actif dans cette protestation.


La société polonaise sera-t-elle au rendez-vous ?


La société est consciente de ces dysfonctionnements et risque de ne pas se laisser faire dans les prochaines semaines. L’opposition a une réelle carte à jouer. Il y a de l’espoir. Nous vivons un moment grave, une cassure historique, la plus importante depuis les années 1980. Nous sommes à ce moment décisif de notre destin, où nous devons choisir si nous voulons être une nation européenne et démocratique ou pas. La Pologne n’était pas face à un tel dilemme au début des années 80 et du mouvement Solidarnosc. À l’époque, tout le monde soutenait l’idée d’une démocratie. Cette crise reflète aussi les fragilités des leaders d’opposition. Nous avons besoin d’hommes et de femmes qui ne représentent pas seulement les intérêts de leur groupe ou de leur parti, mais qui prennent à bras le corps les défis de notre société. J’espère que ce conflit permettra des changements structurels pour construire une Pologne démocratique et européenne. C’est notre combat aujourd’hui, c’est mon combat aujourd’hui, nous n’avons pas d’autre choix.


Propos recueillis par Flore de Borde

Crédits photographiques Tomek Ogrodowczyk

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