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Fatima Askira: “Après la peur vient la foi et l’espoir”

En 2013, le nord-est du Nigéria est frappé par une recrudescense de la violence du mouvement islamiste Boko Haram. Fatima, avec son diplôme en biologie en poche, décide de venir en aide aux déplacés et victimes d’un conflit d’une extrême violence. Avec des sacs remplis de vêtements et d’objets de première nécessité, cette jeune femme déécide d’agir, seule, face aux horreurs perpetuées dans son pays. Fatima nous a accordé un entretien :  elle raconte son parcours et son choix de rester auprès des siens, malgré le danger.



Depuis plus de dix ans, le conflit oppose l’armée du Nigeria aux groupes armés du mouvement Boko Haram. Comment vous êtes-vous retrouvée au milieu de cette violence ?  


Je suis née et j'ai grandi à Maiduguri, la capitale de l’Etat de Borno qui est devenu l’épicentre du conflit entre l’armée nigériane et les insurgés depuis 2009. Toute mon enfance, ainsi que mes années universitaires se sont déroulées à Borno. C’était une époque insouciante, même si l’insécurité s’installait lentement. Une explosion par ci, une explosion par là… On voyait le conflit à la télévision ou sur Internet, mais nous nous sentions moins concernés derrière les murs de la ville, qui était bien protégée. Néanmoins, tout a basculé du jour au lendemain quand nous avons vu des milliers de déplacés dans les rues de Maiduguri. Ils quittaient leurs villages réduits en cendres par les insurgés. Mon propre voyage a commencé ce jour-là, quand ce conflit est entré dans nos vies. 


A l’époque, il n’y avait pas encore de camps de déplacés formels pour accueillir ces personnes. Les gens trouvaient des abris dans les écoles. Après avoir entendu diverses informations et quelques rumeurs, j’ai décidé d’aller voir de mes propres yeux. J’ai rencontré de nombreuses femmes et enfants, dont certains n’avaient gardé que quelques objets emportés à la hâte. Je me suis précipitée à la maison pour collecter des vêtements et partager ces informations dans le voisinage. Je n’ai aucune idée de ce que je faisais à l’époque, j’ai eu juste envie de faire bouger les consciences. Les gens ne me prenaient sans doute pas au sérieux. Les réseaux sociaux sont devenus pour moi un espace d’expression, où je partageais des informations en temps réel depuis le terrain. Pour les autres, c’était un moyen de comprendre ce qui se passait à Borno et la manière dont les combats et les attaques affectent les civils. C’est à ce moment que j'ai entendu, pour la première fois, des femmes raconter des histoires de viols perpétrés par des insurgés ou par des membres de leur propre famille.


Les conséquences du conflit sur les femmes est terrifiant. Comment parvient-on, ou pas, à soigner les blessures invisibles ? 


Les femmes me racontaient leurs expériences traumatiques et des viols, en privé, mais n'osaient jamais déposer plainte par peur que l'affaire ne soit rendue publique. Le tabou entourant ces actes est très fort dans les communautés, laissant les femmes démunies face à leurs traumatismes. Plus de 30 camps pour personnes déplacées ont été mis en place, rassemblant des milliers d'individus issus de différentes communautés et de nouveaux cas de viols ont commencé à être signalés.


Au Nigéria, la violence fondée sur le genre est stigmatisée, c'est pourquoi les cas de viols et de violences sexuelles ne sont pas suffisamment signalés. Les femmes et les filles cachent cette information, car il s’agit de l'image des survivantes au sein de la communauté. Nous documentons et nous signalons les faits à la police. Nous nous adressons non seulement aux femmes, mais aussi à leurs parents et aux membres de leur famille pour leur expliquer l'importance de punir l'auteur de l'infraction. Dans une situation de viol, il ne s'agit pas seulement d'hommes venant de l’extérieur violant des femmes dans la brousse, mais aussi d'enfants violés par des oncles ou des parents à la maison. C'est un sujet très difficile, mais nous parvenons à trouver un terrain d'entente.


À l'époque, de nombreux cas d'enlèvements, de meurtres et de violences se produisaient de plus en plus souvent à Borno. Comment avez-vous réussi à aider sans céder à la peur ? 


Même si je n'avais jamais envisagé de quitter la région, nous avons traversé des moments difficiles et nous vivions dans la peur. Boko Haram lançait des attaques, massacrait des gens, en enlevait d'autres. Des cas d'enlèvements d'enfants, filles et garçons, ont eu lieu dans les écoles à Borno et Yobe. De nombreuses filles ont été sauvées, le sort d'autres est toujours inconnu, et il y a eu des cas d'enfants utilisés dans des attentats suicides. Nous nous sentions tous en danger. 


À un moment donné, beaucoup de gens sont partis. Il n'y avait pas de réseau téléphonique, pas d'électricité, les gens survivaient comme ils pouvaient. De nombreux villages étaient coupés du reste de l'État, sans possibilité de communication. Oui, nous étions tous effrayés, mais après la peur vient la foi et l’espoir. Progressivement, la situation s'est améliorée. Aujourd'hui, nous pouvons nous rendre dans ces communautés pour apporter une aide vitale.


Quel peut être l’avenir des femmes au Nigéria ? 


La société nigériane est très conservatrice. Elle dicte la manière dont les femmes doivent se comporter en public, ce qu’elles peuvent faire ou pas. Pourquoi elle voyage seule ? Pourquoi elle n’est pas mariée ? On dirait que tout le monde attend que tu échoues ! J'ai continué à travailler sans relâche, sans trop me soucier de l'opinion des autres. Je fais partie de cette génération qui a osé briser des barrières, sans peut-être le savoir. 


Dix ans plus tard, nous sommes toujours là. Nous continuons de charger nos véhicules, de démarrer nos moteurs et d’aller vers les villages reculés, en connaissant les risques que la route représente. C'est bien si mon activité inspire les autres. Mais les jeunes doivent continuer à poursuivre leurs propres rêves sans trop se poser de questions. 


Propos recueillis par Maryna Shcherbyna

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