Jean-Marc Liling : un Israélien pour la paix
Nous avions rencontré l’avocat et activiste des droits Jean-Marc Liling en 2015 à Jérusalem. A la fois juif religieux et sioniste, il avait quitté la France pour s’installer en Israël, tout en étant bien conscient qu’elle abritait un autre peuple que le sien. Tout en protégeant des immigrés venus d’Afrique, il avait alors commencé à tisser des liens avec des Palestiniens de Cisjordanie. Par son intermédiaire nous avions alors rencontré Ali Abu Awwad, un militant palestinien qui avait renoncé à la violence et tentait de faire avancer la cause de son peuple par le dialogue — même avec certains habitants des localités juives de Cisjordanie.
Nous avons voulu savoir où en était leur engagement après les massacres du 7 octobre et la nouvelle guerre meurtrière avec le Hamas. Est-il au point mort ? Au contraire, répond Jean-Marc Liling. Voici l’entretien qu’il nous a accordé, avant celui d’Ali Abu Awwad des territoires occupés, que nous publierons prochainement. Nous ne nous sommes pas entretenus depuis 2015. Quelle direction la société israélienne a-t-elle suivie en 8 ans ?
La tendance de la société israélienne à ignorer la question palestinienne et à ne pas voir sa responsabilité en tant que puissance occupante en Cisjordanie s’est poursuivie. À partir de 2019, nous sommes entrés dans une crise politique qui est celle de la société israélienne dans son ensemble, et qui au fond pose la question de ce que doit être un État juif en terre d'Israël. Benjamin Netanyahou a toujours voulu qu’Israël soit Sparte — une forteresse assiégée et en guerre — plutôt qu’Athènes, un pays intégré dans sa région et qui reflète les valeurs léguées au peuple juif par ses textes religieux et son histoire. Ces deux visions s'affrontent : soit l’on considère que le monde entier nous déteste, et il faut alors construire autour de nous des murs pour nous protéger. Soit on pense que le sionisme doit apporter de l’espoir aux Juifs du monde entier, et bâtir des ponts avec les non-juifs.
Netanyahou a oublié qu’environ 20% des Israéliens sont des Arabes, auxquels il faut ajouter les conjoints non-juifs, les migrants arrivés ici pour travailler ou demander l’asile. Quant aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, pouvons-nous les regarder sans se sentir menacés par eux, en se disant que nous appartenons à cette terre, mais qu’ils y appartiennent aussi ? Je le pense. Il faut donc chercher la formule qui nous permettrait de vivre ensemble, ou côte à côte. Nous nous devons, au moins, de promouvoir une vision d’espoir.
Les massacres du 7 octobre ont-ils bouleversé votre vision des choses ?
Ceux qui ont perpétré ces massacres ont atteint un niveau de cruauté hallucinant, de type génocidaire. Mais savoir si ces actes sont soutenus par les Palestiniens ou les Arabes israéliens est une autre question. Mon expérience de dialogue avec eux me prouve qu’il faut éviter toute généralisation abusive. En revanche, le camp libéral (au sens politique) et humaniste en Israël a le sentiment que la gauche occidentale, qui a immédiatement mis sur le même plan les exactions du Hamas et les actions militaires israéliennes, l’a abandonné et trahi. À ce camp de se reconstruire lui-même, et sans doute de se réengager dans le champ politique israélien. Depuis le 7 octobre, de nombreux citoyens qui étaient engagés dans le champ de la société civile — et qui ont quasiment pris la place de l’État pour réclamer le retour des otages, pour accueillir les déplacés, soutenir les soldats, etc. — sentent que le moment est venu de réinvestir le champ de la politique au sens noble du terme, pour refonder notre contrat social.
Comment évolue votre dialogue avec les Palestiniens ?
Je suis en contact étroit avec Ali Abu Awwad, avec qui j’ai créé une association israélo-palestinienne pour soutenir les activités du centre de dialogue qu’il a créé en Cisjordanie, ainsi qu’avec d’autres Palestiniens. Certes, des voix s’élèvent en Israël pour dire qu’on ne peut pas faire confiance aux Palestiniens et qu’on ne pourra jamais coexister avec eux. C’est encore plus fort depuis le 7 octobre. Mais dire qu’il n’y a pas d’interlocuteurs palestiniens pour construire une coexistence est faux. Nous travaillons, avons créé des relations de confiance et parfois des liens d’amitié avec eux. Il y a avec qui parler et avec qui construire. Du côté palestinien certains sont dans le déni par rapport aux événements du 7 octobre, mais pas chez ceux qui ont été impliqués dans ce dialogue. Bref, notre engagement dans la durée nous permet, Juifs et Palestiniens, de ne pas perdre la tête.
Nous savons que nous sommes minoritaires. Les semaines que nous traversons provoquent un repli sur soi de part et d’autre. Mais, alors que tout nous pousse à nous recroqueviller et avoir une vision simpliste de nous-mêmes et de l’autre, nous maintenons une vision de long-terme. Je reste convaincu que nous sommes condamnés, Israéliens et Palestiniens, à vivre ensemble. On nous a considéré pendant des années, nous les partisans du dialogue, comme des allumés de l’espoir. Mais nous avons raison de suivre cette voie. Et elle va repartir de plus belle après la fin de la guerre.
Voir notamment l’association suisse B8 of Hope, qui promeut des initiatives communes entre Israéliens et Palestiniens.
Propos recueillis par Michel Eltchaninoff
Visuel : @Liling
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