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« Le Black Panther Party, c’est la création de modèles de survies »

A l’heure où les Etats-Unis élisent leur prochain président et dans un contexte de forte mobilisation contre les violences policières, nous avons interviewé Saturu Ned qui a rejoint le Black Panther Party en 1968 alors qu’il est encore étudiant à Sacramento, capitale de la Californie. Cofondateur du groupe de funk The Lumpen, il a travaillé au siège du parti à West Oakland et enseigné à la Community School and Learning Center ouvert par les Black Panthers. Depuis l’implosion du parti en 1973 puis sa dissolution en 1982, il est l’un des gardiens de sa mémoire et collabore à différentes organisations dont le musée d’Oakland pour mettre en valeur son héritage. Il raconte comment en tant qu' ancien des Black Panther, il agit pour sa communauté et voit l’avenir de son pays.



Quel est le but de Black Panther Power ?

Le réseau Black Panther Power Legacy Keepers Network rétablit les faits. Nous avons mis à l’ordre du jour la lutte contre les meurtres de la Police et sa brutalité. Ensuite, des hommes et des femmes politiques ont pu s’appuyer sur le bilan du parti pour faire carrière, comme Bobby Rush [Ancien militant du BPP à Chicago, élu depuis 1993 Parlementaire représentant le 1er district de l’Illinois] ou Barbara Lee [Représentante de la Californie au Congrès depuis 1998]. Enfin, nous œuvrons à ce que les solutions viennent d’abord directement des gens, pas des institutions. C’est comme cela que nous avons lancé en 1969 le premier programme pour fournir un petit déjeuner à tous les écoliers. Puis il y a eu les cliniques médicales gratuites, les banques alimentaires, la construction de logements abordables.

Le Black Panther Party n’a jamais voulu être un culte, contrairement à la façon dont le gouvernement nous attaquait, en faisant croire que nous étions des types dangereux qui détestaient les Blancs. C’était surtout de la création de modèles de survies, une révolution en attente. Nous n’avons jamais été révolutionnaires au sens que nous allions mener une révolte armée comme les Cubains ou les Gardes rouges. L’ambition était d’éduquer les gens et de leur permettre d’arriver à des positions où ils sont autosuffisants, ils coopèrent, créent des affaires et participent au changement. Et ça marchait.

Le programme COINTELPRO du FBI [1956-1971] a englouti des centaines de millions de dollars pour nous contrôler. Pourquoi dépenser autant d’argent si ce n’est la preuve que nous allions dans la bonne direction et que nous apportions des solutions au plus grand nombre de personnes ?

Notre réseau est aussi une plateforme de transfert du savoir. Ce travail est difficile à faire dans les conditions sanitaires actuelles. Les cours sont ouverts à tous les progressistes et ils se déroulent maintenant sur Zoom. Nous proposons dans un cours sur 18 mois d’examiner ce qui ne va pas en Amérique, sans présenter une idéologie mais en parlant de la lutte des classes. Nous préparons l’année prochaine. Peu importe la personne qui est élue président, les promesses ne sont jamais tenues. C’est par l’éducation, une autre manière de penser que le changement arrivera dans nos communautés. C’est comme ça que nous allons survivre ensemble, à notre échelle, en exerçant le pouvoir du peuple. Nous l’observons ici en Californie et ailleurs aux Etats-Unis : les gens se mobilisent, ils nourrissent leur prochain, les logent, sans l’aide de l’Etat fédéral. En quelques courtes semaines, le Sénat peut approuver l’arrivée d’une nouvelle juge à la Cour suprême, mais ne peut pas s’entendre sur une aide financière pour aider des millions d’Américains à traverser la crise. Nous regardons au-delà de la crise du Covid. Des millions de salariés et de propriétaires de petites entreprises peuvent être une véritable force économique indépendante pour assurer l’autonomie d’existence de leur famille et de leur proche. Les Etats-Unis manquent de logement, d’alimentation, de santé et de paix. Le combat continue.

Kamala Harris est la première femme noire et indienne candidate à la vice-présidence des Etats-Unis si Joe Biden est élu. Est-ce une fierté et un espoir pour sa ville de naissance, Oakland ?

Sa carrière est très controversée. Elle a été procureur à San Francisco. Pour chaque condamnation d’une personne blanche, il y avait alors 19 condamnations à la prison d’une personne noire ou latino [cette estimation n’a pas pu être confirmée par la rédaction]. Puis elle est devenue ministre de la justice de la Californie. A cette époque, il y a eu plus de 1500 condamnations à la prison pour des délits mineurs liés à la marijuana, alors que l’Etat s’apprêtait à la légaliser. Mais bon, la vice-présidence n’a aucun pouvoir aux Etats-Unis. C’est une position purement cérémonielle. Les gens votent pour ce ticket démocrate parce qu’ils veulent surtout se débarrasser de Donald Trump, cet homme horrible.

Les démocrates ne font qu’attaquer leurs opposants. Il n’y a pas une vision d’ensemble qui se dégage sur ce qu’ils vont faire pour les gens une fois élus. Je ne ressens pas vraiment d’enthousiasme. Donald Trump a nommé plus d’une centaine de juges fédéraux de droite. Six des neufs juges de la Cour suprême sont à droite. Même si Biden passe, le Sénat contrôlé par les Républicains continuera de tout bloquer. Et l’héritage de Trump restera en place pendant une centaine d’années. Nous savons que le parti républicain n’a pas d’attache avec les personnes de couleurs et les demandeurs de droits. Ils s’en foutent de ce que les gens pensent. Mais au moins ils sont loyaux envers leur base, leurs valeurs, leurs idéaux. Le parti démocrate est quant à lui hypocrite. Il ne tient jamais ses promesses. Biden est un politicien de Washington D.C. depuis 47 ans. Il ne va pas changer son attitude maintenant. Il a reconnu que c’était une grosse erreur d’avoir voté le Violent Crime Control and Law Enforcement Act en 1994 [réforme punitive de la justice criminelle portée par Bill Clinton qui établit des peines planchers, responsable de l’incarcération de masse]. Va le dire aux dizaines de milliers de Noirs et Latinos et autres minorités, parfois mineurs, que tu as envoyé en prison pour des années. C’est toujours la même rhétorique. Nous savons que rien ne va se passer avec lui quand il sera élu. Nous ne voulons pas des politiciens qui vont ralentir le mouvement militant, dissident et de changement révolutionnaire.

Quel est l’enjeu majeur de cette élection présidentielle ?

Après la crise de la covid-19, comment allons trouver un système social et économique dont tous les Américains puissent bénéficier ? C’est le défi. Le gouverneur du Texas Dan Patrick a quand même dit que les séniors devraient être prêts à sacrifier leurs vies pour l’économie. Il leur a dit en substance, ‘vous êtes superflus, les affaires doivent pouvoir continuer et les commerces restés ouverts’ Ici, nous avons des gens qui écoutent encore « l’idiocratie » du gouvernement et balaient la biologie et la science en général. Les Américains vivent dans un monde de fantaisie. Ils réclament le retour de ce qu’ils appellent la « normalité », qui ne jouait pas de toute façon en leur faveur. Avec Black Panther Power, nous montrons que la structure du pouvoir est pensée pour que la majorité des gens, surtout ceux déshérités, déjà privés de droits, échouent. L’élection porte aussi l’enjeu des relations interraciales dans le système de santé et l’économie.

Propos recueillis et traduits par Vincent Dozol



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