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Mais pourquoi le CSA accueille-t-il la propagande chinoise ?

C’est passé inaperçu. Ou plutôt : c’est passé en catimini. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, a soudainement accordé, le 4 mars dernier, — sans réunions préalables, annonces, délibération ni publicité — l’autorisation à la chaîne d’Etat chinoise CGTN (China Global Television Network) de diffuser ses programmes à partir de la France. Pour mesurer le poids de cette décision, il faut savoir que le régulateur des médias britannique a retiré sa licence de diffusion à la CGTN et que plusieurs distributeurs allemands, à la suite de cette mesure, ont cessé de diffuser la chaîne chinoise, par exemple Vodafone. La CGTN dépend en effet du Parti communiste chinois, dont les mensonges — sur le sort des Ouïghours, sur le Covid ou encore sur la situation de Hongkong — sont patents.


Voici donc que la France offre à la puissance chinoise la possibilité de diffuser sa propagande télévisuelle. C’est inacceptable, d’autant que cette décision s’est prise de manière discrète et précipitée. Le CSA ne devrait-il pas revenir sur cette décision, alors que l’ethnocide et le génocide des Ouïghours se déroulent en ce moment même ? Marie Holzman, sinologue et traductrice, spécialiste de la dissidence en Chine, nous a donné l’autorisation de publier la tribune qu’elle a fait paraître, avec la sinolologue Patricia Batto, dans le Figaro lundi dernier. Voici leur texte et la question qu’elles posent au CSA : « pourquoi le CSA français s’est-il précipité au secours de l’un des plus redoutables outils de désinformation de la planète ? »


Les Nouveaux Dissidents




La tribune de Patricia Batto, Maître de Conférences en Etudes chinoises, et Marie Holzman, Présidente de Solidarité Chine, publiée dans le Figaro lundi 8 mars dernier.



La France ne doit pas servir de base à la propagande chinoise en Europe


La télévision d’Etat chinoise s’est tournée vers les autorités françaises, après s’être vu retirer sa licence de diffusion par le régulateur britannique.


La chaîne de télévision d’Etat chinoise CGTN est bien décidée à poursuivre sa mission de propagande en Europe. Le 4 février 2021, le régulateur britannique des médias Ofcom lui a retiré sa licence de diffusion. L’Ofcom attendait depuis septembre 2020 que la CGTN (China Global Television Network) se conforme aux règles britanniques qui interdisent notamment au détenteur d’une licence d’être contrôlé par un organe politique. Sentant le vent tourner, dès décembre 2020, la CGTN a contacté l’organisme français de surveillance des médias, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), pour pouvoir transmettre par satellite depuis une station terrestre en France. Le CSA a commencé par refuser de de dire quand il serait en mesure d'établir si la CGTN pourrait être autorisée, ou non, à émettre à partir du territoire français. Puis, dans la plus grande discrétion, et à la surprise de tous ceux qui se sentaient concernés par la question, le 4 mars, la nouvelle est tombée : autorisation accordée !

Pourtant, suite à la décision britannique, plusieurs distributeurs qui diffusent la CGTN en Allemagne, dont Vodafone, ont temporairement cessé de diffuser la chaîne chinoise.


La CGTN dépend de CCTV, l’organisme de télévision publique chinoise, chapeauté directement par le Parti communiste chinois (PCC), en l’occurrence le Département central de la propagande du Parti. D’après les documents officiels chinois, CCTV, et sa filiale CGTN, ont pour mission « de propager les théories, la ligne politique et les politiques du Parti ; de planifier et de gérer les grands reportages de propagande » et, à l’étranger, de « raconter de manière exacte l’histoire de la Chine ».


L’Ofcom a retiré sa licence à la CTGN en estimant que la société Star China Media Limited, à laquelle avait été accordé le droit d’émettre, n’exerçait « pas de responsabilité éditoriale sur le contenu diffusé par CGTN » qui était assujettie au Parti communiste chinois, entraînant notamment un non-respect des règles d'impartialité journalistique. Ainsi, la CGTN n’a jamais présenté de points de vue alternatifs à celui de Pékin dans sa couverture des manifestations pro-démocratie à Hong Kong, pour ne citer que ce cas.


La riposte ne s’est pas fait attendre : le 12 février 2021, Pékin a interdit la chaîne de télévision World News de la BBC, affirmant que certains de ses reportages sur la Chine enfreignaient les principes de véracité et d'impartialité journalistiques. Les autorités ont accusé ouvertement la BBC de « désinformation », après la diffusion d’un documentaire sur les origines du Covid-19 et de témoignages de femmes ouïgoures et kazakhes victimes de viols dans les camps d’internement chinois


L’interdiction de la BBC World News en Chine n’a en réalité qu’un impact très limité : derrière la « Grande Muraille numérique » érigée par Pékin, le citoyen chinois n’a pas plus accès à la BBC qu’à d’autres médias occidentaux. BBC World News n’était visible que dans les hôtels internationaux et des résidences destinées aux étrangers. Malgré cette diffusion déjà très restreinte, Pékin censurait encore certaines émissions.


Le Global Times, soumis au Parti comme tous les médias chinois, révélait d’ailleurs, le 17 février, une preuve supplémentaire du manque d’objectivité de la BBC, images à l’appui : des internautes avaient comparé la version anglaise et la version chinoise d’un reportage sur la ville de Wuhan mis en ligne sur YouTube en décembre 2020, et auraient découvert que la BBC avait ajouté un filtre gris dans la version anglaise, pour présenter délibérément une Chine terne, sans couleurs ! Perfide Albion !


Le régulateur britannique avait déjà épinglé la CGTN en juillet dernier. En effet, dans la droite ligne des autocritiques maoïstes, Pékin extorque des aveux, les met en scène, les filme, pour ensuite les diffuser à la télévision. Un traitement infligé couramment à ses propres citoyens indociles, mais aussi à des ressortissants étrangers, dont le Britannique Peter Humphrey. Cet ancien journaliste travaillait en Chine pour le compte d’une société pharmaceutique. Arrêté en août 2013, puis accusé en juillet 2014 de violation des lois chinoises sur la vie privée, il a été condamné à deux ans et demi de prison. En juin 2015, il a bénéficié d’une libération anticipée pour raisons de santé.


Avant même la tenue de son procès, on a exigé de lui des aveux qui ont été filmés alors qu’il était « assis, enfermé dans une cage, des menottes aux poignets, attaché à une chaise en métal », comme l’a raconté par la suite l’intéressé en personne. Ces confessions forcées ont été diffusées au Royaume-Uni par la CGTN qui s’appelait alors encore CCTV News, en août 2013 et en juillet 2014. Peter Humphrey a porté plainte contre la CGTN auprès de l’Ofcom le 23 novembre 2018. Le régulateur britannique des médias a déclaré début février 2021qu’il annoncerait sous peu des sanctions contre la CGTN pour les confessions forcées de Peter Humphrey et de plusieurs autres personnes.


De toute façon, la CGTN pourra toujours diffuser sur Internet, et maintenir des reporters et un siège en Europe, même si elle ne trouve pas de pays européen l’autorisant à émettre à partir de son territoire, alors pourquoi le CSA français s’est-il précipité au secours de l’un des plus redoutables outils de désinformation de la planète, alors même que les rares journalistes occidentaux encore autorisés en Chine connaissent des conditions de travail de plus en plus difficiles, d’après un rapport du Foreign Correspondents’ Club of China (FCCC) publié le 1er mars 2021.


Avons-nous vraiment besoin d’être informés davantage par Pékin, pour qui les Ouighours « vivent heureux, en paix, et en sécurité » au Xinjiang, comme l’a affirmé sans sourciller l’ambassadeur de Chine Lu Shaye sur France 2 ? Alors même que les preuves des exactions à l’encontre des Ouighours s’accumulent, au point que les Etats-Unis, le Canada, les Pays-Bas les qualifient désormais de « génocide » ?

Avons-nous vraiment besoin de voir sur nos écrans des personnes présumées innocentes, filmées en plan serré car menottées, réciter devant une caméra des confessions extorquées par la police chinoise ?

La France doit-elle vraiment collaborer avec Pékin pour l’aider à endormir les dernières consciences de l’Europe ?

Certainement pas.

Le CSA ne doit pas autoriser la CGTN à émettre à partir de la France.



Patricia Batto, Maître de Conférences en Etudes chinoises

Marie Holzman, Présidente de Solidarité Chine

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